Un étrange film de pirates
Capitaine Morten et la Reine des araignées est d’abord un film de pirates… Comme dans toute histoire de pirates qui se respecte, on y trouve son trésor convoité, ici par l’avide Annabelle et son complice Stinger, ses épiques péripéties, ses mutineries et son naufrage sur une île déserte. Ainsi les récits du Capitaine Vicks, le père de Morten, narrés dans une langue soutenue et au riche vocabulaire, et la légende du « Borgne », l’ancêtre ayant perdu son trésor et la raison, alimentent-ils considérablement l’imagination du jeune garçon solitaire qu’est Morten.
Mais notre histoire de pirates vire au fantastique, puisque l’océan sur lequel naviguent le jeune Morten et son équipage de fortune est une mer domestique ! Les personnages-insectes voguent dans l’auberge inondée : un océan de salon, qui a davantage à voir avec l’océan de larmes d’Alice aux pays des merveilles qu’avec les mers du sud du Jim Hawkins de L'île au trésor. Existe-t-il alors pire danger à affronter que les remous d’une lessiveuse ou la tornade provoquée par les pales d’un ventilateur lancées à vive allure ? L’exploration par voie d’eau d’un lieu aussi quotidien qu’un salon, fut-il d’une autre époque, n’en devient que davantage palpitante !
Un voyage surréaliste
Morten a recyclé une longue liste d’objets pour construire son navire, qui va d’une chaussure à un crayon à papier, en passant par une boîte d’allumettes, un morceau de nappe, la vanne à volant du tuyau d'arrivée d'eau... Le détournement de ces objets lui permet d’entrer dans une autre dimension. Les objets servent d’ailleurs souvent de raccords et permettent le passage du monde « réel » au monde imaginaire. On trouve ensuite de nombreux objets-gigognes, dont la fonction première est détournée au profit d’une autre, plus fantaisiste, comme par exemple, ce phonogramme au pavillon-corolle avaleur d’homme et pondeur de beignets ! Cette façon d’utiliser les objets est proprement surréaliste… Par ailleurs, les doubles-insectes des personnages du réel se teintent d’une personnalité onirique, ce qui pourrait nous laisser penser que nous assistons au rêve de Morten. L’apparition de Lisa, dans la cale du bateau, en cocon se muant en papillon est d’abord l’incarnation du remord de Morten, qui a subitement mauvaise conscience d’avoir arraché une chenille à son milieu naturel. Puis Lisa se métamorphosera en un sublime papillon, qui aidera Morten à regarder d’un œil nouveau Elisabeth, la jeune fille du jardin. Ce jeu de miroirs surréaliste rend chacun des personnages et leurs relations plus complexes qu’en apparence. C’est ce qui fait la profondeur et la richesse de ce film surprenant !
Si l'on ajoute à tout cela, le plaisir de voir un jeune garçon s'épanouir et conquérir son rang de Capitaine, Capitaine Morten et la Reine des araignées nous semble tout à fait palpitant !