De toutes les nombreuses adaptations du célèbre conte musical de Prokofiev, celle de Suzie Templeton est l'une des plus belles et des plus surprenantes.
Belle car l'animation de marionnettes image par image nous offre un film visuellement abouti dans lequel, au sein de décors imposants et détaillés, les marionnettes animées sont à la fois réalistes et expressives. De plus, on notera que l'absence de parole dans le film permet à la réalisatrice de traduire les émotions des personnages grâce aux expressions des visages : avec ses grands yeux bleus, Pierre nous est présenté comme un jeune garçon plein de tendresse et de colère, humilié par les adultes et n'ayant que pour principaux complices son canard, son chat et un oiseau. Quant au loup, avec sa fourrure noire et son regard perçant, il apparait comme un prédateur à la fois dangereux et majestueux.
Surprenante car la réalisatrice propose une vraie relecture du conte musical de Prokofiev. On note, en effet, quelques différences avec la version originale : l'oiseau a des difficultés pour voler et Pierre lui attache un ballon pour l'alléger ; les chasseurs sont présentés non comme des sauveurs mais comme des êtres méchants qui maltraitent Pierre, notamment en le jetant dans une poubelle. La fin, qui diffère un peu aussi de l'histoire de Prokofiev, permet à la réalisatrice d'offrir un autre regard sur l'enfance, plus dur et plus humain : Pierre est la victime des adultes (que ce soit les chasseurs ou son grand-père autoritaire), il vit dans un environnement pauvre et ne trouve refuge que dans la compagnie des animaux et de la nature. Il y a une opposition évidente entre la ville (le monde sombre des adultes) et la forêt (l'espace des animaux et de la liberté). Mais le film compare la sauvagerie du loup avec celle des hommes. Entre l'animal et le chasseur, lequel des deux est le plus noble ? Bien que le loup ait avalé son canard favori, Pierre ne peut s'empêcher de s'identifier au loup qui, comme lui, subit la méchanceté des plus grands. La fin sonne alors comme un appel à la liberté où les plus cruels sont punis et les innocents retrouvent leur grandeur.