Avec ce quatrième long métrage, la réalisatrice mongole Byambasuren Davaa passe à la fiction. Ces trois premiers films dont L’histoire du chameau qui pleure (2003) présenté à Cannes et aux Oscars étaient des documentaires. Les Racines du monde s’appuie également sur une base documentaire : le film retrace le combat d’une famille vivant sur les steppes mongoles pour sauver ses terres de l’exploitation de l’or par des compagnies minières étrangères. Ce film à la photographie époustouflante — lumières célestes sublimes, plans au drone embrassant l’immensité des steppes, harmonies des couleurs de la nature et des costumes — a véritablement été tourné sur des steppes où sévit une exploitation minière qui ne se soucie guère des habitants et des traditions locales. L’histoire de la famille d’Amra est donc celle de nombreuses familles contraintes de quitter leur terre investie contre leur gré par les bulldozers et les pelleteuses. À cause de ces départs forcés, des hommes et des femmes sont arrachés à ce qui constitue leur vie même : leur yourte, leur terre, leurs bêtes, leur travail, leurs habitudes et leur coutumes.
Bien que nous plongions à travers le film dans le quotidien d’une famille de nomades — au sens mongole, cela signifie « ceux qui se sont installés » et possèdent au moins une yourte et un troupeau —, le film fait écho à des combats qui sont aussi ceux de plus en plus d’occidentaux : lutter contre la pollution due à l’industrie, contre l’épuisement des ressources, tâcher de vivre en respectant la nature et l’environnement. Néanmoins, nous sommes, face à ce film, les spectateurs désarmés de logiques capitalistes qui ruinent des générations de formes de vie traditionnelle, formes qui nous sont aujourd'hui majoritairement inconnues en France.
Le récit complexe du combat contre l’exploitation incarné par les parents d’Amra se mêle habilement au regard que ce dernier, âgé de douze ans et encore plein de rêves, porte sur le monde cruel qui l’entoure. En cela, le film s’adresse aussi bien à un public jeune qu’à un public adulte. Byambasuren Davaa tient le pari d’un film qui nous saisit par la force de son récit et les émotions véhiculées par chacun des personnages. La relation qui unit les quatre membres de la famille, Amra (le fils aîné), Zaya (la mère), Erdene (le père) et Altaa (la fille cadette) est faite d'un silence respectueux et d'amour. Malgré le décès tragique de son père, Amra est habitée par une force faite de colère et d’espoir qui infuse tout le film et dont la beauté nous saute à la figure.