Si pour vous l'apanage des grands films est de jouer sur les capacités d'empathie des spectateurs, Bovines est assurément un chef d'œuvre. Pendant vingt minutes, nous regardons des vaches. Puis les vingt minutes suivantes nous comprenons les vaches. Et enfin nous sommes des vaches. Sans commentaire, avec une caméra d'une intelligence et d'une délicatesse rares, Emmanuel Gras nous propose avec cet O.V.N.I. (B.O.V.N.I. ?) un voyage bien particulier dans un univers que nous prenons pour acquis. Ces placides bêtes à cornes, nos ferventes spectatrices lorsque notre train vient troubler la quiétude de leur pâturage, ont en effet une vie bien à elle, que le réalisateur nous invite à observer, à découvrir. Nous n'avons ici pas d'anthropomorphisme ni de dramatisation à outrance (il y en a une, certes, mais subtile), juste cette petite heure à passer en compagnie de ces charolaises. Mais cet apprentissage direct est d'une redoutable efficacité, bien plus que si l'on nous avait assené un commentaire superfétatoire, et à suivre le quotidien parfois bien banal de nos héroïnes, on en vient à goûter avec elles les événements qui l'égaient, ou à avoir la gorge nouée quand elles expriment leur détresse. Mais loin d'être un documentaire aride, ce film est aussi une œuvre d'art, avec des compositions de plans parfaitement travaillées, dont les prises de vues bien plus naturalistes qu'esthétisantes nous font apprécier la poésie simple d'intempéries ou de paysages embrumés.