Dès les premiers instants, le superbe sens du rythme dont fait preuve le réalisateur nous permet, petits et grands, de plonger immédiatement dans ce qui nous est donné à voir, la photo, puis à entendre, le récit. La vue plate et panoramique du cliché fondateur, pris par le père au moment des adieux, prend alors du relief et devient le terrain cartographique des souvenirs, émotions, accidents et joies de son enfance. Avec des moyens minimums (une voix, une image), Robert-Jan Lacombe fait remonter à la surface une densité inouïe de sensations enfouies. Le tour de force est d'autant plus grand qu'il ne ponctionne que des détails épars pris peu à peu dans une image qui, par essence, ne pourrait à elle seule rassembler dix ans de vie enfantine. La voix du narrateur est à la mesure de ce qu'essaime le film - sobre, sensible, allant à l'essentiel -, tout en ouvrant sur une multitude de questionnements : qu'est-ce que l'amitié ? Qu'est-ce que se sentir noir ou blanc ? Qu'est-ce que se sentir d'ici ou d'ailleurs ? Qu'est-ce que se sentir déchiré entre deux cultures ? Et, au final, qu'est-ce que passer d'un âge à un autre ? En interrogeant toutes les séparations des individus en eux et entre eux, le montage rend directement palpables ces frontières paradoxalement invisibles. Le paroxysme est atteint de façon très émouvante dans ce raccord final entre les photos - qui par définition immobilisaient les corps - et l'unique plan en mouvement de tout le film. Le décollage de l'avion renvoie ainsi au « décollage » de l'image fixe à l'image en mouvement, tout comme au déchirement de cette frontière fragile entre deux appréhensions du monde, deux âges, deux pays, deux regards sur un seul écran : celui de la réminiscence du souvenir avec celui de la distance prise pour en décoller.
En un temps très court le film qui condense la situation d'un garçonnet en particulier, dans un lieu très précis, avec des archives uniquement familiales, réussit pourtant à nous faire partager l'universalité des sentiments qu'il dégage. Il va même jusqu'à nous donner la sensation profonde d'être passé par là nous aussi, quand bien même nous ne soyons ni garçon, ni âgé de dix ans, ni zairois, ni fils d'expatriés hollandais, et d'avoir été un jour ce petit enfant d'un autre continent arraché à ce qu'il croyait pourtant être son pays natal éternel. Ce pays, c'est l'enfance.