Dès les premières images, ce film donne le ton et s’ouvre sur une mélodie naïve frappée au xylophone. Il reconstitue la magie avec laquelle on se représente le monde, enfant. Lou, le narrateur, nous donne accès à son intimité et à son imaginaire, un peu comme dans un journal intime. Il plante littéralement le décor, « Ma maman et moi, on a l’habitude de faire les vide-greniers le dimanche », et les choses s’animent comme dans son imagination, à mesure que les souvenirs lui reviennent. On a accès à toute sa subjectivité, à l’oral comme à l’image. C’est d’ailleurs lui qui double les voix des autres personnages qu’il rencontre en chemin. Le récit change même en fonction de ses souvenirs, comme lorsqu’il présente Raoul. On voit tout selon son prisme : Lou est un joueur passionné de game-boy, mais sûrement nourri aussi de mangas, au vu du graphisme très kawaii et des couleurs pop. Il raconte ce souvenir de manière magnifiée par toutes ces influences.
Ce court métrage est d’ailleurs construit tel un jeu d’aventure. La quête de Lou ? Retrouver ses rollers que sa mère a vendus, alors qu’il était en retard au rendez-vous, n’ayant pas entendu son réveil. C’est peut-être la raison pour laquelle le film est tellement estampillé jeu vidéo : Lou n’est peut-être pas encore tout à fait réveillé, après avoir joué en cachette toute la nuit. Cette quête est mise en scène comme un jeu de plateforme, où l’on retrouve un plan du lieu, des obstacles, des personnages relais, des cachettes secrètes et des aides surprises. Les rollers sont même présentés sous la forme d’un avatar. Les bruitages semblent tout droit sortis d’un jeu vidéo rétro et la musique pop rock n’est pas non plus sans rappeler les mangas animés. Toute la pop culture est convoquée, avec même quelques clins d’œil au cinéma par-ci, par-là, comme le skate-board et le talkie-walkie de Retour vers le futur, la veste bombers à la Drive, ou les personnages qui exaucent des vœux à la façon du génie dans Aladdin.
Mais la pop culture n’est pas seulement utilisée de manière illustrative. Tout le talent de la réalisation réside aussi dans le fait de jouer avec le cadrage, avec des effets de démultiplication ou des rapports de taille. Encore une fois, il s’agit de vivre la trajectoire du personnage comme si c’était la nôtre. Ses émotions sont tellement amplifiées qu’on est à la limite de la caricature. Comme pour les mangas, les images sont bavardes et exacerbent l’importance de chaque situation. Les réalisateurs attirent également notre attention avec un travail de lettrage rappelant le street-art, mais dont l’inspiration vient surtout des onomatopées en BD. L’immersion du spectateur est telle qu’on est à deux clics de celle d’un joueur de jeu vidéo.
Le film n’est pas intéressant que d’un point de vue visuel. Il aborde également des sujets intéressants, comme notre lien affectif envers certains objets. À l’heure de la consommation compulsive et de l’obsolescence programmée, on découvre que le neuf ou le nombre d’objets ne compense pas la valeur sentimentale. Il est aussi question de transmission, « Raoul me dit que ce skate, c’est comme un vieux copain, mais il pense que je peux en prendre soin ». En passant d’un propriétaire à un autre à travers les années, un objet raconte aussi une histoire, comme tout article trouvé en brocante. Enfin, ce court métrage nous apprend aussi à lâcher prise. Après tout, les rollers de Lou étaient devenus de toute façon trop petits pour lui, il était donc temps qu’ils fassent le bonheur de quelqu’un d’autre.