En 1937, les studios Disney sortent triomphalement leur premier long métrage d'animation, Blanche Neige et les sept nains. Le coup de maître est aussi un succès gigantesque. La Paramount, studio concurrent, met aussitôt en chantier un long métrage d'animation. Les frères Fleischer, à qui l'on doit notamment Koko le clown, Popeye ou Betty Boop, se retroussent les manches. Max à la production, Dave à la réalisation et un bataillon de collaborateurs à leurs côtés, ils se lancent dans l'adaptation de la première partie du roman de Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver, écrit en 1721.
Ce classique de la littérature anglaise et le conte des frères Grimm avaient peu de choses en commun… Mais dans sa version animée, Gulliver tient beaucoup de la Blanche-Neige de Disney. Les sept nains ressemblent étrangement aux Lilliputiens, trublions gaffeurs qui aiment, eux aussi, chanter en travaillant. Les interludes musicaux, notamment ceux qui accompagnent la romance entre la princesse de Lilliput et le prince de Blefuscu, sont également d'inspiration disneyenne. Les séquences les plus réussies sont celles dans lesquelles le géant cohabite avec les minuscules insulaires. Le ficelage et l'habillage de Gulliver se transforment rapidement en immenses chantiers où les lilliputiens manient avec entrain leurs outils les plus divers : un système de poulie pour rapiécer ses guenilles, une serpe pour le raser, un râteau pour le peigner… Le Technicolor, procédé de colorisation phare en cette fin des années 30, pare certaines séquences de beaux atours, comme lorsque le géant neutralise en un tour de main les navires de la flottille belliqueuse en les rassemblant aussi facilement qu'une flopée de ballons.
Contrairement aux Lilliputiens, très « cartoonesques », Gulliver est un personnage assez effacé, pris entre deux rois guerroyant pour des broutilles. Destiné aux très jeunes spectateurs, le dessin animé n'a pas le mordant du livre de Swift qui, sous couvert de décrire des mondes imaginaires et lointains, critiquait la société anglaise de son époque, la bêtise des hommes et leurs velléités guerrières. Néanmoins, à la veille de la Seconde Guerre mondiale - le film est réalisé en 1939 - Gulliver finit par donner de la voix pour que les deux rois se réconcilient, affirmant haut et fort son pacifisme.